en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Christian GROS

Vidéo en bas de page - Cliquer ici en cas de problème de visionnage de nos vidéos

Corderie

Cette nuit, il s’est mis à pleuvoir des cordes. Je suis aussitôt sorti dans la rue pour en ramasser quelques-unes, chaque don du ciel étant toujours bon à prendre ; J’avais proposé à mon Cupidon de m’accompagner, une corde neuve ne pouvant que faire le plus grand bien à son arc, sérieusement détendu. Mais après quelques minutes, il me fit part de sa décision de me quitter, moi et mes méthodes de chasse archaïques, pour passer dans la catégorie supérieure : Il venait à mon insu d’investir dans un fusil à pompe afin d’augmenter les résultats de son tableau de chasse. J’eus beau lui faire remarquer qu’un cœur a peu de chance de conserver son intégrité face à une volée de chevrotines, il n’en a pas eu cure. Il s’est armé jusqu’aux ailes, puis s’en est allé, sans plus se soucier de moi. La pluie avait cessé et les centaines de cordes luisantes jonchant le sol semblaient autant de serpents affamés échappés des enfers. J’étais trempé ; Il faisait nuit ; l’Amour venait de m’abandonner ; j’avais une corde en main… J’ai donc décidé de me pendre, tous les ingrédients d’un drame se trouvant réunis. 

Guidé par un critère purement esthétique, mon choix s’était porté sur un réverbère début de siècle, dont j’imaginais par avance les subtiles oscillations de la lampe en réponse à mon mouvement pendulaire. Je me voyais déjà dans son halo lumineux, mes jambes raidies refermant avec élégance le cercle de ma vie, tel un compas mortuaire traçant sa dernière figure. Mais à l’instant suprême où j’allais me fixer définitivement entre ciel et terre, Cupidon réapparu au bout de l’avenue, claudicant lamentablement, les ailes voilées, son ancien visage d’angelot n’étant plus qu’un vague souvenir sous les ecchymoses. Il m’apprit, penaud, qu’il avait choisi comme première victime pour tester ses nouvelles armes un haut fonctionnaire des impôts; Mais ce dernier, insensible à l’amour, évidemment, avait aussitôt commandé à ses gardes du corps d’étriller l’inopportun sur le champ. Et mon petit chérubin n’avait dû son salut qu’à un fort coup de vent qui avait dans l’instant déplacé le fonctionnaire vers les plus hauts sommet de sa hiérarchie.

Ainsi, sans me l’avouer, le petit bougre me proposait de reprendre du service, à l’ancienne. Il se mit à fouiller longuement les amas de cordes recouvrant la chaussée, finit par choisir celle qui lui semblait idéale, retendit son arc abandonné et, se dirigeant vers ma porte, il en franchit le seuil.

Désormais, pour me pendre, j’avais le choix : Le réverbère ou le cou d’une femme...

J’eus la désagréable sensation que ma situation venait d’empirer.



© Christian Gros
d'autres textes de Christian Gros

par l'auteur :
Accueil | Poésie | Fables et farces | La Fontaine parodié | Aphorismes | Musique de chambre | Spectacles | Contact et liens