Paul VALERY (
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Écrire en Moi-naturel. Tels écrivent en Moi-dièse
[in "Tel quel / Rhumbs" - Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 630]
Je me parcoure moi-même, mot à mot.
Le poème :
cette hésitation prolongée entre le son et
le sens.
[in "Tel quel / Rhumbs" - Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 637]
La force de plier le verbe commun à des fins imprévues sans rompre les « formes consacrées », la capture et la réduction des choses difficiles à dire; et surtout, la conduite simultanée de la syntaxe, de l'harmonie et des idées, sont à mes yeux les objets suprêmes de notre art.
La musique m'ennuie au bout d'un peu
de temps, et d'autant plus court qu'elle a eu plus d'action
sur moi. C'est qu'elle vient gêner ce qu'elle vient
d'engendrer en moi, de pensées, de clartés,
de types et de prémisses.
Rare est la musique*
qui ne cesse d'être ce qu'elle fut; qui ne gâte
et ne traverse ce qu'elle a créé, mais qui
nourrisse ce qu'elle vient de mettre au monde, en moi.
J'en conclus que le vrai connaisseur en cet art est nécessairement
celui auquel il ne suggère rien.
*
Paul Valéry appréciait particulièrement
la musique de Wagner
Il importe peu de savoir ce que l'auteur dit.
C'est mon erreur qui est Auteur !
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (1957) - p 374]
Je remarque dans tous les arts, et particulièrement
dans celui d'écrire, que l'intention de causer quelque
plaisir le cède insensiblement à celle d'imposer
une certaine idée de l'auteur.
Si une loi de l'Etat obligeait à l'anonymat et que
rien ne pût paraître sous un nom, la littérature
en serait toute changée, - en supposant qu'elle y
survécût....
[in "Mauvaises pensées et autres / Littérature" - Pléiade vol. II (éd. 1977) – p 805]
Il est refusé aux plus profonds de s'admirer par le détour de la ferveur d'autrui, car ils sont la certitude en personne que nul autre qu'eux-mêmes ne saurait concevoir ni ce qu'ils exigent de leur être ni ce qu'ils espèrent de leur démon.
[in "Variété / Je disais quelquefois à Stéphane Mallarmé..." - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 644]
Bien des raisonnements critiques conduisent
à ceci : « Je vous reproche de n'être
pas moi, comme moi, conforme à moi. »
Le critique ne doit pas être un lecteur, mais le témoin d'un lecteur, celui qui le regarde lire et être mû. L'opération critique capitale est la détermination du lecteur. La critique regarde trop vers l'auteur. Son utilité, sa fonction positive pourrait s'exprimer par des avis de la forme suivante : Je conseille aux personnes de telle complexion et de telle humeur de lire tel livre.
Que de jugements sont des émissions de
fermentations intestines ! Ils soulagent leurs auteurs et
infectent l’air intellectuel des autres. Ainsi les injures,
les railleries, les exclamations.
[in "Tel quel / Moralités" – Pléiade vol. II (éd. 1977) – p530]
Il n'y a d'universel que ce qui est suffisamment grossier pour l'être.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 881]
L’homme de goût est une manière
d’incrédule.
Il ne croit pas à la surprise : unique loi des arts
modernes.
Car la surprise est chose finie.
[in "Tel quel / Rhumbs" – Pléiade vol. II (éd. 1977) – p 617]
La plus véritable profondeur est la
limpide.
Celle qui ne tient pas à tel ou tel mot – comme mort, Dieu,
vie, amour, mais qui se prive de ces trombones.
[in "Tel quel / Cahier B 1910" – Pléiade vol. II (éd. 1977) – p 593]
L’Esthète :
Parfois je ressens comme barbare et bizarre le fait d’orner
de statues et de représentations d’êtres vivants, une
construction.
Je comprends les Arabes qui n’en veulent pas. Je perçois
presque douloureusement le contraste entre la forme et la
matière qui s’accuse dans ce monde ornemental, où la pierre
passe de son rôle mécanique à son déguisement théâtral.
Je sens que ce ne sont pas des actes de même attention qui
ont fait le mur ou la voûte, et le saint perché dans la
niche.
Un Parthénon est fait de relations qui n’empruntent rien à
l’observation des objets. On le peuple ensuite de
personnages, on le souligne de feuillages.
J’aimerais mieux que l’œil ne reconnaisse rien sur ce tas ;
mais n’y trouve qu’un nouvel objet, sans référence de
similitudes extérieures, qui se fasse percevoir comme créé
par lui, ŒIL, pour une contemplation infinie de ses propres
lois.
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 336]
Si nous aimons faire le bien, nous faisons ce que nous aimons.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 847]
Un homme passe pour volontaire ; mais
au fond, il n'a que l'habitude de vouloir. Le vouloir lui
est le plus facile.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 848]
Certains sont inférieurs dans
les choses les plus communes, supérieurs dans les
plus rares; comme aveugles quant au soleil et clairvoyants
dans la nuit.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 832 (et aussi p 875 !)]
Les esprits valent selon ce qu'ils exigent.
Je vaux ce que je veux.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 876]
Les médiocres esprits deviennent
toujours plus habiles, ne cessant de parcourir leur médiocre
lieu. Mais celui qui d'habile se fait gauche... voilà
l'homme.
[in "Tel quel / Rhumbs" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 649]
Un homme compétent est un homme qui se trompe selon les règles.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 887]
Si tu es vif, le lent t'échappe.
[in "Mélange / Humanités" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 327]
La peau humaine sépare le monde en deux espaces. Côté
couleurs, côté douleurs...
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 888]
Notre corps nous appartient un peu moins que nous
ne lui appartenons…
[in "Variété / Réflexions simples sur le
corps / Problème des trois corps" – Pléiade vol. I (éd. 1957) - p. 927]
FABLE
Maître Cerveau sur un homme perché
Tenait dans ses plis son mystère…
J’ai oublié la suite.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 798]
L'homme est sur la croix de son corps.
Sa tête accablée est percée par les
épines profondes de sa couronne de pensées.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 889]
Le débat religieux n'est plus
entre religions, mais entre ceux qui croient que croire
a une valeur quelconque, et les autres.
[in "Tel quel / Rhumbs" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 643]
Le martyr : J'aime mieux mourir que
de... réfléchir.
[in "Tel quel / Rhumbs" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 641]
Le sceptique est celui qui perçoit dans les paroles
d'autrui et dans ses propres pensées toutes les modifications
qu'on peut leur faire subir sans rien changer dans l'observable.
Un objet, un jour, ne tomba pas. Il demeura
seul de son espèce, suspendu à un mètre
du sol.
Personne n'y comprend rien. On construisit un temple autour
de lui.
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 334]
Ici, la mer ramasse, reprend ses innombrables dés et les rejette.
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (éd. 1957) - p 310]
Le visionnaire :
L'ANGE me donna un livre et me dit : " Ce livre contient
tout ce que tu peux désirer savoir. " Et il
disparut.
Et j'ouvris ce livre qui était médiocrement
gros.
Il était écrit dans une écriture inconnue.
Les savants l'ont traduit, mais chacun en donna une version
toute différente des autres.
Et ils diffèrent d'avis quant au sens même
de la lecture. Ne s'accordant ni sur le haut ni sur le bas,
ni sur le commencement ni sur la fin.
Vers la fin de cette vision, il me sembla que ce livre se
fondît et se confondît avec le monde qui nous
entoure.
On peut écouter sans entendre.
C'est le silence
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 320]
Le mensonge sera souvent le péché du
questionneur lequel rend la vérité dangereuse.
[in "Tel quel / Rhumbs" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p. 641]
Le dieu-soleil inventa l'éternuement pour se faire
saluer.
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 314]
J'ai dormi de quoi changer la nuit
en jour.
[in "Mélange" - Pléiade vol. I (1957) - p 300]
Je ne rends plus au jour qu'un regard étranger...
Tout l'univers chancelle et tremble
sur ma tige.
Très imminente larme et, seule à me répondre,
Que lui fait tout le sang qui n'est plus son secret ?
Au milieu de mes bras, je me suis faite une autre...
Rêve d'être tout moi !... Sans toi, belle fontaine,
Ma native beauté me serait incertaine.
Je ne suis curieux
Que de ma seule essence ;
Tout autre n'est qu'absence
Ou trop mystérieux.
Je te mettrai rompue et belle sous mes pieds.
Femmes. - Les femmes sont mélange
du désir d'une certaine brutalité et de l'exigence
d'immenses égards.
Elles adorent la force, mais une force qui parfois s'incline,
et un tigre qui tantôt dévore,
et tantôt se fait descente de lit.
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 906]
Une femme intelligente est une femme
avec laquelle on peut être aussi bête que l'on
veut..
[in "Mauvaises pensées et autres" – Pléiade vol. II (éd. 1977) - p 906]
Grasse. - Dix heures et quart - Tout
à coup une hirondelle bleue et or se jette dans ma
chambre, fait trois tours, retrouve la petite fenêtre
carrée et fuit, comme crevant l'image du pays, par
ce trou de lumière où elle s'était
précipitée en tant que trou d'ombre, et qu'il
lui a suffi de virer de bord pour la changer en lumière,
en autre monde
Peut-être ne l'a-t-elle pas reconnu ?
Elle [l'eau] tend des nappes de calme absolu, sur le plan pur desquelles toutes choses mirées paraissent plus parfaites qu'elles-mêmes.
Que de choses l'eau a connues ! Mais sa manière de connaître est singulière. Sa substance se fait mémoire : elle prend et s'assimile quelque trace de tout ce qu'elle a frôlé, baigné, roulé. Qu'elle jaillisse au jour, elle est toute chargée des puissances primitives des roches traversées.
Considérez un grand arbre et voyez en esprit que ce n'est qu'un fleuve dressé qui s'épanche dans l'air du ciel. L'eau s'avance par l'arbre à la rencontre de la lumière. L'eau se construit de quelques sels de la terre une forme amoureuse du jour.
[in "Louanges de l'eau" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 202-203]
Au ras de l'horizon palpitent [...] des éclairs...
[in "Variété / Voltaire" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 521]
Une perception directe est d’autant plus précieuse que nous savons moins l’exprimer.
Plus elle met en défaut les ressources de notre langage, plus elle nous contraint à les développer.
[in "Variété / Le bilan de l'intelligence" - Pléiade vol. I (éd. 1957) – p 1080]
Le feuillage s'agite et perd tous ses oiseaux... [p 406]
Amour est ce qu'on veut... Qu'avez-vous à blâmer ?
J'aime comme il me plaît ce qui me plaît d'aimer. [p 412]
... Sous de méchantes mains
Le cur le plus fermé s'éclate en cris humains; [p 415]
[in "Mélange / Cantate du Narcisse" - Pléiade vol. I (éd. 1957)]