Le sire étant loup de naissance,
sa cause était perdue davance,
daprès laccusation.
En effet, comment répondre
de trop de chefs dinculpation
( sans compter ceux quaura pu pondre
un fabuliste
en mal de mode ) ?
« Dune aussi longue liste
il faut quon saccommode !
fit admettre le juge, un agneau épargné,
( et malgré ça fort mal peigné ),
voici décrit par le menu
ce que lon croit quil a haché menu :
oies et dindons de basse-cour,
petits cochons quand ils sont trois,
agneau qui londe pure empeste,
agneau encore, agneau toujours,
âne à long poil par très grand froid,
âne tout court par temps de peste,
lièvre vantard
partant trop tard
»
Un témoin, dogue de son état,
à la charge ajouta :
« Trop amaigri pour prodiguer des coups,
ce loqueteux ( et pas pelé quau cou
)
ne montra que dédain
à lopportunité de tâter du boudin
sous la table du maître,
autant que la panse peut le permettre
et sans autres contreparties
que d'avoir à croquer les parties
des importuns !
Mais ( vous semblez loublier )
moyennant le port du collier...
oui je sais : on sy accoutume
comme on dit chez les flaireurs de souliers !
rétorqua lavocat, un colinet à plumes,
cousin aérobie du colin de haute mer,
( et qui eût étouffé sil navait
de grands airs.)
Or lécher les bottes ou le creux dune main
nest le lot que de ceux qui rampent !
Braconner là où chasse lhumain,
voilà qui est seul digne de sa trempe.
Monsieur le président, permettez
quon prête ouïe à ses accents de vérité.
»
On ôta donc ce qui le muselait
( et quon lui avait mis sur plainte dune plaie.)
Mais laccusé demeura sans parole.
« C'est que mon client, expliqua lavocat,
na point connu l'école.
Et puisque ce destin la privé de vocables
et que la chose, hélas, savère irrévocable,
quon lui accorde sans façons
duser du langage des gestes ! »
On défit donc et camisole et chaussons
et toutes sortes de liens indigestes ;
et sans avoir besoin de nier
il fut lavé de tout soupçon
par un jury... égratigné !
et qui loua lenvie queut lors
le loup de changer de décor
sans emporter autre chose
que lavocat de la cause.
Ce dernier ne plaida plus trop,
car plus croqué que ouï.
Défendre les loups ? oui,
mais pas à portée de leurs crocs !
« Quoi quil en soit, conclut le colinet*
avant que dêtre dégluti,
voilà quenfin on me connaît
et que mon nom est gravé et pas en petit,
et même avec deux l
tant mon impresario a déployé de zèle
!
Et quimporte si La Fontaine ( ou lautre ) accable
le destin dont je suis lacteur,
puisque mieux vaut périr dans une fable
que demeurer inconnu du lecteur. »
*Clin dil lancé
à Jean-Pierre Collinet (avec deux l !)
éditeur des Fables dans la bibliothèque de la
Pléiade, et auteur d'une étude sur le Loup chez
La Fontaine et ses successeurs.
in « Fables de compagnie » édition 2010
(voir LIBRAIRIE)