en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Philippe MARTINEAU

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Le loup et le colinet
(le Loup des Fables enfin jugé !)



Le sire étant loup de naissance,
sa cause était perdue d’avance,
d’après l’accusation.
En effet, comment répondre
de trop de chefs d’inculpation
( sans compter ceux qu’aura pu pondre
un fabuliste
en mal de mode ) ?

« D’une aussi longue liste
il faut qu’on s’accommode !
fit admettre le juge, un agneau épargné,
( et malgré ça fort mal peigné ),
voici décrit par le menu
ce que l’on croit qu’il a haché menu :
oies et dindons de basse-cour,
petits cochons quand ils sont trois,
agneau qui l’onde pure empeste,
agneau encore, agneau toujours,
âne à long poil par très grand froid,
âne tout court par temps de peste,
lièvre vantard
partant trop tard… »

Un témoin, dogue de son état,
à la charge ajouta :
« Trop amaigri pour prodiguer des coups,
ce loqueteux ( et pas pelé qu’au cou…)
ne montra que dédain
à l’opportunité de tâter du boudin
sous la table du maître,
autant que la panse peut le permettre
et sans autres contreparties
que d'avoir à croquer les parties
des importuns !

– Mais ( vous semblez l’oublier )
moyennant le port du collier...
oui je sais : “ on s’y accoutume ”
comme on dit chez les flaireurs de souliers !
rétorqua l’avocat, un colinet à plumes,
cousin aérobie du colin de haute mer,
( et qui eût étouffé s’il n’avait de grands airs.)
Or lécher les bottes ou le creux d’une main
n’est le lot que de ceux qui rampent !
Braconner là où chasse l’humain,
voilà qui est seul digne de sa trempe.
Monsieur le président, permettez
qu’on prête ouïe à ses accents de vérité. »

On ôta donc ce qui le muselait
( et qu’on lui avait mis sur plainte d’une plaie.)
Mais l’accusé demeura sans parole.

« C'est que mon client, expliqua l’avocat, n’a point connu l'école.
Et puisque ce destin l’a privé de vocables
et que la chose, hélas, s’avère irrévocable,
qu’on lui accorde sans façons
d’user du langage des gestes ! »

On défit donc et camisole et chaussons
et toutes sortes de liens indigestes ;
et sans avoir besoin de nier
il fut lavé de tout soupçon
par un jury... égratigné !
et qui loua l’envie qu’eut lors
le loup de changer de décor
sans emporter autre chose
que l’avocat de la cause.
Ce dernier ne plaida plus trop,
car plus croqué que ouï.
Défendre les loups ? oui,
mais pas à portée de leurs crocs !

« Quoi qu’il en soit, conclut le colinet*
avant que d’être dégluti,
voilà qu’enfin on me connaît
et que mon nom est gravé et pas en petit,
et même avec deux “ l ”
tant mon impresario a déployé de zèle !
Et qu’importe si La Fontaine ( ou l’autre ) accable
le destin dont je suis l’acteur,
puisque mieux vaut périr dans une fable
que demeurer inconnu du lecteur. »


*Clin d’œil lancé à Jean-Pierre Collinet (avec deux “ l ” !) éditeur des Fables dans la bibliothèque de la Pléiade, et auteur d'une étude sur le Loup chez La Fontaine et ses successeurs.

in « Fables de compagnie » édition 2010 (voir LIBRAIRIE)



par Philippe LEJOUR (bio) :
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