Le loup patient
Quel animal court après le temps ? C'est l'Homme !
De là vient tout son mal. Patience. Patience
Dans l'azur, pour le poète et l'astronome.
Et patience ici-bas, pour nous, les pauvres hommes
Qui fuyons ses silences.
Car le fruit mûri longuement
À la fin est le plus apprécié.
J'en veux pour preuve cet événement :
Au cours de la saison d'hiver,
Un loup, gavé d'air et de vent,
cherchant bon gîte et bon couvert,
Pénétra dans le jardinet
D'une humble maison forestière.
Or, tandis qu'il glissait de son pas chaloupé
Sous la fenêtre entrebâillée,
- Etait-ce un loup de mer qui avait mal tourné ? -
Voici qu'il entend la maman
Gronder son marmot turbulent :
" Sois sage, disait-elle, ou je vais te jeter
Par la fenêtre et le loup viendra te manger ! "
Nul doute, pour l'adorateur de la Lune,
C'est là une invitation de dame Fortune !
Il attend donc fort patiemment
- Quoique de plus en plus affamé -
Qu'on lui livre enfin son dîner.
Le jour s'écoule lentement.
Mais rien ne vient ! Par chance, à l'heure
Où l'Esprit de la nuit clôt les yeux des humains
D'un crêpe de satin, à l'heure
Où les noirs bataillons des sapins
Se poudrent de perlimpinpin,
Quand le loup blanc lui-même devient gris,
Que le dernier des chiens s'en retourne au logis,
Le maître de ces lieux sort d'un estaminet,
Ayant bu le maigre salaire
D'une semaine de labeur d'enfer
Et accostant chez lui soûl comme un polonais,
Plus excité qu'un porc sauvage,
Vous jette, pour calmer sa rage,
Femme et enfant par la fenêtre !
(On a beau être humain, on n'en est pas moins bête
!)
Pour notre loup ce fut pain bénit. Ce soir-là,
Il soupa fort bien
par deux fois !
Attestant à qui sait l'entendre,
Que tout vient à point à qui sait attendre.
in « Fables et contes » - édition 2007
par Michelle MANET (
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