en   MOT  dièse
petite  ANTHOLOGIE  de  poésie  et  de  musique  de  chambre

de Yves TARANTIK

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Le Loup qui voulait fumer la pipe



          Soyons bêtes, ou soyons méchants !
          Il faut un jour enfin choisir.
          On ne peut jouir impunément
          À la fois de tous les plaisirs.
          L'excès peut être foudroyant :

Prenez messire Loup, sortant de sa tanière
          Et avisant maître Renard,
          Lequel, plutôt que humer l’air,
Fumait une bonne pipe. La chose est rare :
“ Hé !.. que fais-tu compère ? et qu’as-tu sur ta lippe ?
Interrogea le Loup - Je fume… la pipe !
          Lâcha le frimeur entre deux bouffées.
          Comme ces marins et ces capitaines,
Qui sont partis joyeux courir la prétentaine, 1
Et puis sont retourné aux rives du Liré,
Choyer leur emphysème et leurs poumons mités,
          Toussota-t-il encor, l’œil indécis.
- Aaah… et est-ce bon ? - Bon ? Tu veux rire, l’ami !
          Stupéfiant, enivrant ou divin,
Choisis parmi ces mots celui qui te convient :
Ce nard auquel j’aspire, est le fumet des dieux !
C’est mon zénith, mon nadir, et pour dire mieux,
          C’est la pipe au poète,
          Le narguilé des jours de fête !
          Lové sur ce sofa volant,
          Je vogue vers les orients.
          Soudain dans ma pauvre caboche
          Tout semble un peu moins moche.
          Le monde flotte et devient flou,
          Je fais escale à Katmandou…
- Oh ! coupa l’autre déjà tout impatient,
          Que cela est intéressant !
          J’ai hâte de m’y essayer.
Hélas, pour me sortir de mon terrier, 2
          Pour m’arracher ce trip,
          Il me manque… une pipe !
- Je crois pouvoir t’aider, dit alors le matois :
          Il est à l’orée de nos bois
          Un laboureur qui besogne
Son champ ; il a, c’est vrai, une bien rude trogne,
          Mais je sais de reste
Qu’il possède une pipe et qu’il laisse sa veste
Au bord des sillons. Allons, et bientôt
          Tu auras tout ce qu’il te faut !
La vareuse levée, leur dévoile un fusil :
          - Ô… dit ce diable de Goupil,
Quelle magnifique pipe ! Certes plus longue
          Que la mienne, mais pipe oblongue
N’en tirera que mieux ! ”. Ayant fait ouvrir
La gueule au candide, il y glisse le canon :
          “ Suis bien, dit-il, mes instructions.
          Tiens bon le tuyau, et aspire… ”
          Au même instant le malveillant
          Presse sur la détente – délicatement –.
          Le pauvre Loup est culbuté
          Par ce coup si bien goupillé !
Il y perd trois de ses plus belles dents.
Halluciné, il se relève en fulminant :
“ Tu me le payeras scélérat !
J’en fais le serment, il me restera
Assez de mâchoire pour te broyer bientôt ! ”
Là-dessus il court se remettre au dodo.

          De ce jour notre Loup jura
          De ne plus fumer. Est-il bête ?
          Est-il méchant ? Peut-être…
Mais n’a-t-il pas récupéré toute sa tête ?
Or vous, qui ne supportez plus vos maux,
          C’est pour vous que je plaide :
Faites comme mon loup, acquiescez au remède !
          Laissez choir cette herbe à Nicot
          Qui vous prendra tous vos chicots.
          Préférez le parfum du lilas
          Aux effluences du tabac !


1. Vagabonder au hasard... ou chercher des aventures galantes.
2. Le Loup, qui vit dans des infractuosités (tanière), creuse parfois un terrier ou agrandit celui d'une autre espece.

in « Fables et contes » - édition 2007



par Philippe LEJOUR (bio) :

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